Avent 2021

C’est quoi l’esprit de Noël ?


Avent : C’est quoi l’esprit de Noël ?

Noël est construit sur un paradoxe magnifique et voulu : la naissance du sans-abri devrait être célébrée dans tous les foyers.

Gilbert K. Chesterton, La Chose, « L'esprit de Noël », 1929

 

La saison de Noël est domestique et, pour cette raison, la plupart des gens s’y préparent en se ruant dans des tramways, en faisant la queue, en fonçant dans les trains, en s’entassant, désespérés, dans des salons de thé, et en se demandant si et quand ils vont bien pouvoir rentrer chez eux. Je ne sais pas si certains d’entre disparaissent à jamais ou non dans le rayon des jouets, ou s’allongent simplement dans les salons de thé et y meurent. À en voir certains, c’est tout à fait probable. Juste avant la grande fête du foyer, la population toute entière semble être sans abri. La fête de la famille transforme le pauvre comme le riche en vagabonds. Ils ont des difficultés à s’entasser dans leurs hôtels, sans parler de celles qu’ils éprouvent à se séparer pour rentrer chez eux. Je veux dire l’inverse d’une irrévérence quand je déclare que leur seul point de ressemblance avec la famille archétypale de Noël, c’est qu’il n’y a pas de place pour eux à l’auberge. Noël est construit sur un paradoxe magnifique et voulu : la naissance du sans-abri devrait être célébrée dans tous les foyers. L’autre genre de paradoxe n’est pas voulu et n’est certainement pas voulu et n’est certainement pas magnifique. Il est assez mauvais que la naissance du sans-abri, célébrée au foyer et sur l’autel, doive parfois être synchrone avec la mort du sans-abri dans les asiles de pauvres et les bidonvilles.

Je ne peux m’empêcher de me souvenir, avec l’ébauche d’un sourire [d’] une dame qui frémissait à la pensée de ce que pouvaient faire les catholiques derrière les portes closes. Mon souvenir est adouci par la distance et par le sujet que je traite à présent. Je me sens, au contraire, très peu porté à la controverse. J’espère que cette dame et sa façon de penser auront aussi la sagesse de fermer leurs portes, pour découvrir que c’est seulement une fois les portes closes que se présente à l’intérieur la meilleure chose. S’ils sont des puritains, dont la religion s’appuie uniquement sur la Bible, faisons pour une fois qu’il s’agisse d’une Bible familiale. S’ils sont païens, qui n’acceptent que la fête d’hiver, que ce soit une fête de famille. La discordance ou l’inconfort dans les réunions de famille, dont se plaignent les critiques modernes, ne sont pas dus au fait qu’on a laissé brûler ce feu central mystique, mais au fait qu’on l’a laissé refroidir. C’est parce que des fragments d’une chose autrefois vivante ont été maladroitement rassemblés. Ce n’est en rien un argument contre la possibilité de rendre la chose vivante de nouveau. Les jouets de Noël sont balancés de manière un peu incongrue devant des oncles empâtés et païens qui préféreraient être en train de jouer au golf. Mais cela n’altère pas le fait qu’ils pourraient s’animer et devenir plus intelligents s’ils savaient comment s’y prendre avec ces jouets. Ils sont d’un ennui mortel quand ils parlent de golf. Lorsqu’ils étaient enfants, derrière les portes closes, il est probable que chacun d’eux ou presque avait des rêves éveillés et des drames non écrits qui leur appartenaient autant qu’Hamlet à Shakespeare. Combien il serait excitant de voir Oncle Henry, au lieu de décrire en détail le nombre de coups qu’il lui a fallu pour sortir du bunker, dire franchement qu’il avait fait un voyage au bout du monde et attraper le Grand Serpent de Mer. Combien plus intellectuelle serait la conversation d’Oncle William si, au lieu de nous raconter comment il a réduit son handicap, il pouvait dire avec conviction qu’il a été le roi des îles Kangaroo ou le chef des Peaux-Rouges Dango Dango.

Qu’ils jouent au golf jour après jour, qu’ils jouent au golf trois cent soixante-quatre jours d’affilée, et les nuits aussi. Qu’il y ait cependant une nuit pendant laquelle les choses deviennent luminescentes, mais de l’intérieur ; un jour pendant lequel les hommes cherchent ce qui est enfoui en eux ; et découvrent où est en effet caché, derrière des portails cadenassés et des volets fermés, et des portes blindées et verrouillées, l’esprit de la liberté.

Gilbert K. Chesterton, La Chose, « L'esprit de Noël », 1929

Par ces quelques lignes, à la fois polémiques et poétiques, Chesterton nous arrache à la course effrénée du monde, à la superficialité de notre propre vie, pour nous faire redécouvrir comment le mystère divin de Noël se déploie au sein d'un mystère humain : celui de la famille. Échouer à vivre celui-ci, c'est manquer celui-là. Alors, comment nous préparons-nous à vivre ce mystère familial et humain par la grâce de Noël ? Notre conversation de Noël ressemblera celle à celle d'Oncle Henry, où à celle, joyeuse, enfantine, vraie, à laquelle nous invite Chesterton, et le prodige de la Nativité ?

Pierre, étudiant en 2e année à la faculté Notre-Dame

Avec la participation du collectif PansdArts