Magazine du Collège des Bernardins été 2020
Humbles devant Dieu : spirituelles icônes
Du 14 au 20 janvier 2020, le Collège des Bernardins organisait une exposition d’icônes contemporaines de Russie, d’Ukraine et d’ailleurs. Retour sur une peinture riche et singulière, dont l’humilité détonne dans l’univers de l’art et dans la culture contemporaine.
Le Sauveur, icône non faite de main d’homme (fragment d’une caisse de munitions), Sophia Atlantova, Oleksandr Klimenko. Tempera, 45 x 51 cm | Kiev, 2015 - © Vinciane Lebrun
Qui connaît les noms des peintres d’icônes d’hier ou d’aujourd’hui ? À l’exception de quelques grands, comme Théophane le Grec ou Andreï Roublev, les noms des peintres d’icônes sont voués à disparaître avec ceux qui les portent. La légende raconte qu’Andreï Roublev, moine du XVe siècle immortalisé à l’écran par Andreï Tarkovski, eut les yeux crevés pour avoir osé signer l’une de ses œuvres.
Ces artistes créent des icônes mais n’en deviennent pas
S’ils passent à la postérité, c’est presque par accident, car la nature même de la peinture d’icônes veut que l’artiste s’efface derrière son œuvre, son sujet, et ce que celui-ci inspire. Aujourd’hui encore, les icônes n’ont d’autre finalité que de permettre « l’expérience de la prière contemplative » selon les mots de Sergei Chapnin, spécialiste du sujet religieux.
L’humilité au coeur du motif de la peinture d’icônes
Du grec eikona qui signifie « petite image », l’icône est par essence un format de l’humilité, animé par toute une série de codes symboliques. Dans la représentation des figures par exemple, l’absence d’expressions émotives ou de sentiments forts symbolise précisément une attitude d’humilité devant la volonté de Dieu. Le manque assumé de réalisme, et dans la plupart des cas d’éléments contextuels permettant de placer la scène dans une certaine culture, mode ou temporalité, participe de cette quête d’humilité devant l’Éternel. Une démarche esthétique qui vise l’épurement et veut ainsi supprimer tout obstacle entre l’image et l’âme de celui qui la regarde. Vassily Kandinsky s’inspira de ce principe pour le pousser à l’extrême dans l’art abstrait.
« La peinture d’icônes est un espace de recherche créative corrélé à l’expérience de la prière contemplative, au silence du cœur, à la beauté et à l’harmonie. »
Sergei Chapnin, président de l’Artos Fellowship
Une économie de moyens à la fois historique et philosophique
C’est aussi la simplicité des matériaux utilisés qui interroge avec les icônes. Est-ce faute de moyens que ces peintres se mirent à représenter leurs saints sur des morceaux de bois, de murs, de pierre ? Ou ce choix participait-il déjà du sentiment qu’ils voulaient exprimer ? Les deux. D’un point de vue historique, la peinture d’icônes a été principalement le fait d’hommes d’Église, de moines eux-mêmes tenus à une certaine ascèse, et donc à une économie de moyens. Mais cette modestie des supports s’aligne également avec le message du Christ, celui d’une valeur qui dépasse et transcende les réalités matérielles.