Avent 2020

La porte est devant nous ; que nous sert-il de vouloir ?

Simone Weil, « La porte »


Le père Philippe de Forges, professeur à l’école Cathédrale, directeur adjoint de l’Institut Supérieur de Sciences Religieuses (ISSR) et docteur en théologie vous invite à méditer le poème de Simone Weil.

« La porte » de Simone Weil

 

Attendant et souffrant, nous voici devant la porte.
S'il le faut nous romprons cette porte avec nos coups. 
Nous pressons et poussons, mais la barrière est trop forte.

Il faut languir, attendre et regarder vainement. 
Nous regardons la porte ; elle est close, inébranlable. 
Nous y fixons nos yeux ; nous pleurons sous le tourment ; 
Nous la voyons toujours ; le poids du temps nous accable. 

La porte est devant nous ; que nous sert-il de vouloir ? 
Il vaut mieux s'en aller abandonnant l'espérance. Nous n'entrerons jamais. 
Nous sommes las de la voir... 
La porte en s'ouvrant laissa passer tant de silence. 

Que ni les vergers ne sont parus ni nulle fleur ; 
Seul l'espace immense où sont le vide et la lumière. 
Fut soudain présent de part en part, combla le cœur, 
Et lava les yeux presque aveugles sous la poussière.

Simone Weil, Œuvres, « La porte » (1999).

À l’été 1941 Simone Weil est accueillie dans la ferme de Gustave Thibon en Ardèche. Juive, elle est contrainte de cesser son activité d'universitaire en raison des nouvelles lois du régime de Vichy. Le père Perrin l’explique à Gustave Thibon lorsqu’il lui recommande Simone. Après son expérience d’ouvrière chez Renault, celle-ci veut également découvrir la vie de paysan, et elle est embauchée comme ouvrière agricole. Elle choisira d’adopter durant cette période une vie de privation intense, renonçant notamment à ses tickets de rationnement au profit des résistants. Lors de ce séjour naîtra sa grande amitié avec le philosophe, mais cette période ardéchoise fut aussi l’occasion de l’écriture du poème intitulé « La porte ». Je vous le livre à l’orée de cet Avent 2020. 

 S’agit-il ici de faire l’exégèse de ces vers ? Certainement pas. Plutôt d’accueillir en nous, sous la conduite de Simone Weil, une attente, avec sa part de souffrances. Plus encore, peut-être, de reconnaître que notre attente nous mène à la porte. Et que nous nous heurtons à elle, car elle ne s’ouvre pas sous la pression. Sinon il ne serait pas question d’attente, mais d’intrusion. Là se trouve sans doute toute l’épreuve de l’attente, et du temps qui passe. Va-t-elle s’ouvrir la porte ? Pas avant que nous cessions de vouloir. Pas avant que nous nous ouvrions à l’espérance. C’est la condition pour accueillir son silence…

Quatre semaines d’attente et d’espérance. Quatre semaines avant l’éclosion de la parole pleine de silence. Quatre semaines nous préparant à l’espace immense qui comble le cœur. Quatre semaines d’Avent, à partir de maintenant.

Avec la participation du collectif PansdArts