Avent 2020

La prière liturgique constitue aussi bien un acte de parole qu’un acte de présence

Paul Verlaine, « Prière du matin »


Antoine Arjakovsky, co-directeur du département de recherche « Politique et Religions » du Collège des Bernardins, docteur en histoire, vous invite à méditer le texte de Paul Verlaine.

« Prière du matin » de Paul Verlaine

 

Ô Seigneur, exaucez et dictez ma prière,
Vous la pleine Sagesse et la toute Bonté,
Vous sans cesse anxieux de mon heure dernière,
Et qui m'avez aimé de toute éternité,

Car - ce bonheur terrible est tel, tel ce mystère
Miséricordieux, que, cent fois médité,
Toujours il confondit ma raison qu'il atterre, -
Oui, vous m'avez aimé de toute éternité,

Oui, votre grand souci, c'est mon heure dernière,
Vous la voulez heureuse et pour la faire ainsi,
Dès avant l'univers, dès avant la lumière,
Vous préparâtes tout, ayant ce grand souci.

Exaucez ma prière après l'avoir formée
De gratitude immense et des plus humbles vœux,
Comme un poète scande une ode bien-aimée,
Comme une mère baise un fils sur les cheveux.

Donnez-moi de vous plaire, et puisque pour vous plaire
Il me faut être heureux, d'abord dans la douleur
Parmi les hommes durs sous une loi sévère,
Puis dans le ciel tout près de vous sans plus de pleur,

Tout près de vous, le Père éternel, dans la joie
Eternelle, ravi dans les splendeurs des saints,
Ô donnez-moi la foi très forte, que je croie
Devoir souffrir cent morts s'il plaît à vos desseins;

Et donnez-moi la foi très douce, que j'estime
N'avoir de haine juste et sainte que pour moi,
Que j'aime le pécheur en détestant mon crime,
Que surtout j'aime ceux de nous encor sans foi (…).

Paul Verlaine, Amour, « Prière du matin » (1888).

Catherine Pickstock, une philosophe chrétienne britannique, a rédigé en 1998 un livre intitulé Après l’écrit, sur l’achèvement liturgique de la philosophie. Ce livre est une tentative de dialogue avec la philosophie post-moderne. Elle y explique que la philosophie s’accomplit dans la liturgie car la parole liturgique, tout en s’appuyant sur l’Écriture, offre les mots dans leur gloire. « Vive et inscrite à la fois, la prière liturgique constitue aussi bien un acte de parole qu’un acte de présence ».

Ce point capital fut saisi un siècle plus tôt par Paul Verlaine. En 1866 le poète disait faire souvent « un rêve étrange et pénétrant d’une femme inconnue, et que j’aime et qui m’aime, et qui n’est chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend ». Après s’être converti à la foi catholique dans sa prison en 1874, le poète comprend que le visage de cette femme est celui de la Sagesse de Dieu. Dans son recueil intitulé Sagesse publié en 1881 il s’adresse à elle : « Ma dame qui donc êtes-vous ? ». La Sagesse lui répond : « J’étais née avant toute cause, et je verrai la fin de tous, les effets, étoiles et roses ». En 1888 dans le poème « Prière du matin » le poète fait un pas de plus. Il réalise avec joie que le Christ est « la pleine Sagesse et la toute Bonté ».

Cette joie est partagée et amplifiée par toute l’Église le 3e dimanche de l’Avent. Dans le psaume 148, lu dans la prière du matin, c’est toute la sagesse créée qui loue le Seigneur, les anges, le soleil, la lune, « tous les univers ». Le livre d’Isaïe communique aux hommes ces paroles de feu : « Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple ». Pendant la messe, le prophète Isaïe, consacré par l’Esprit du Seigneur, annonce la guérison à ceux qui ont le cœur brisé et aux captifs leur libération. L’évangile de Jean rappelle la mission de Jean le Baptiste qui prépare la venue du Christ dans l’histoire. C’est pourquoi Paul demande à ses amis de Thessalonique : « Frères soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance ».

Avec la participation du collectif PansdArts