Magazine du Collège des Bernardins été 2020

« L’entreprise doit être au service du bien commun »


La crise du Covid-19 sonnera-t-elle le glas d’un système basé sur la performance et le profit ? Comment les entreprises vont-elles s’adapter pour construire un modèle plus durable et responsable ? Jean-Bernard Rampini, directeur chez Sopra Steria, nous donne des pistes pour bâtir ensemble un meilleur avenir.

Quelle leçon d’humilité venons-nous de recevoir !

Il sera toujours temps pour tous les leaders politiques et dirigeants de relire Tocqueville[1]  pour méditer sur l’anticipation et la gestion d’une énième crise de l’Histoire.

Focalisés par l’impact de la crise sanitaire mondiale sur la protection des citoyens et la résilience de nos systèmes de santé, nous prenons conscience, de façon brutale, de la complexité de la phase de déconfinement et des problématiques que nous aurons à résoudre tant dans leur dimension politique et sociale, qu’économique et environnementale.

Cette situation interpelle l’entreprise dans toutes ses dimensions pour relever un certain nombre de défis majeurs :

  • Défi stratégique[2] : refonder la stratégie de l’entreprise dans une économie qui n’est plus déterminée par un environnement mondial favorable, ni par un consensus social.
  • Défi sur la création de valeur[3] : passer d’une création de richesse financière pour un petit groupe de personnes à un partage de plusieurs types de richesses avec un plus grand nombre.
  • Défi social : porter un véritable projet social novateur qui fait sens, s’appuyant sur des valeurs partagées et répondre aux nouvelles aspirations engendrées par la crise de toutes les parties prenantes de l’entreprise.
  • Défi de gouvernance et de pilotage : intégrer dans nos règles du jeu et dans nos comportements managériaux la nécessité d’utiliser la force de l’intelligence collective : n’est-ce pas là le premier retour d’expérience de cette crise ? Seuls nous ne pouvons rien faire, ensemble nous trouverons toujours des solutions de progrès.
  • Défi politique : positionner l’entreprise dans la société pour contribuer à « faire nation » et à ancrer des valeurs citoyennes communes.

Les entreprises doivent aborder ces défis avec courage, lucidité et agilité.

Penser, repenser… l’entreprise dans un contexte de crise durable

Dans un contexte de crise, il faudra encore plus conjuguer intérêt général et développement économique.

Ne soyons pas naïfs, l’entreprise devra toujours générer de la valeur, mais sa gouvernance et son organisation doivent garantir le partage de cette valeur de façon équitable entre toutes les parties prenantes.

Il faut repenser l’entreprise dans la recherche du bien commun et mettre l’humain au cœur de sa raison d’être, en intégrant le rôle d’une entreprise acteur de progrès[4] dans toutes ses dimensions : sociale, économique et technologique.

Il n’est pas surprenant de voir que les entreprises pérennes comme Michelin, Air Liquide… et d’autres groupes comme Sopra Steria, qui existent et créent de la valeur depuis plus de cinquante ans, se soient construits par une volonté visionnaire de leur fondateur, sur ces piliers, bien avant la loi PACTE.

En s’appuyant sur des invariants, socle incontournable de leur gouvernance :

  • Un ADN d’entrepreneur plus que de financier
  • Une capacité d’action forte construite autour d’un projet d’entreprise soutenu par un actionnariat de référence stable incluant l’actionnariat salarial et des valeurs témoignées, partagées et non pas seulement exprimées
  • Une capacité d’adaptation leur permettant de se réinventer et de repenser leur gouvernance dans un monde encore plus volatile, incertain, complexe et ambigu 
  • Un double regard qui concilie le court terme et le long terme, convaincus que le temps est leur allié tant dans la réflexion stratégique que dans l’exécution agile de celle-ci. En particulier dans le pilotage des risques pour passer d’un mode de gestion de l’urgence à une gestion par anticipation : « Gouverner, c’est prévoir » (Général de Gaulle)
  • Et bien sûr, une attention permanente aux femmes et aux hommes de leur entreprise, faisant leur la phrase de Jean Bodin : « il n’est de richesse que d’Homme »

Être et devenir : l’humain au cœur

L’éthique est ce qui permet de redonner du sens, de remettre l’humain et son environnement au cœur du projet entrepreneurial. À ce titre, ce que nous tirons comme enseignement de cette crise doit impacter de façon positive l’évolution du « vivre avec et dans l’entreprise » :

  • Veiller à un numérique au service de l’humain : « nous sommes à un moment historique de notre humanité où se pose une question : acceptons-nous d’entrer dans ces nouveaux environnements et de travailler à en faire un des socles de nos cultures humaines[5] ? »
  • Former, non seulement pour développer les compétences mais aussi pour permettre aux collaborateurs de développer la fierté de trouver sa place par un travail qui fait sens et fait grandir. 
  • Intégrer la dimension RSE dans les choix et décisions pour un monde plus durable et humain en contribuant à l’inclusion sociale et numérique de publics vulnérables. 

Et donc, repenser et intégrer des nouveaux modes de travail en capitalisant sur les écosystèmes décloisonnés, créés par des communautés d’intérêt, et s’inspirer de leur gouvernance autonome et de leur animation transversale.

Beaucoup plus que l’épouvantail du télétravail trop souvent résumé aux seuls outils de visioconférence, il faut tirer tous les enseignements de la force du collectif entre pairs de métier, intégrant les fonctions supports clés (RH, DSI…) qui a fait la preuve durant cette crise de son efficacité et d’une capacité de mise en œuvre avec une rapidité sans précédent grâce au numérique.

Aux entrepreneurs de préparer l’avenir

« En quelques semaines, la crise actuelle a modifié notre rapport au futur », analyse Etienne Klein, qui note que « on n'entend plus les climatosceptiques et collapsologues, car on pense à l'après-crise et non plus à la fin du monde[6] ». Comme le vit et le pense une entreprise, qui n’envisage jamais sa disparition, mais est toujours tournée vers un futur positif.

Cet avenir ne pourra se construire que sur la confiance. Et qui dit confiance, dit transparence, responsabilisation et mise en place de délégations réelles s’appuyant sur le principe de subsidiarité.

Qui dit confiance, dit également accompagnement de l’humain, citoyen et salarié : cet avenir ne sera possible que si nous accompagnons cette transformation par une dynamique sans précédent des moyens alloués à la formation pour accroître les compétences et créer de la richesse, mais aussi par la vulgarisation et l’éducation, car celui qui sait, comprend, mène sa propre réflexion, s’engage et surmonte mieux ses peurs.

« En ce qui concerne le futur, l’important n’est pas de le prévoir, mais notre devoir est de le rendre possible » - Antoine de Saint-Exupéry.

N’est-ce pas là, le cœur de la raison d’être d’une entreprise, porteur d’une vision plus optimiste qui pourrait profiter à tous ?


[1]A de Tocqueville - L’Ancien Régime et la Révolution
[2]R Simons - Seven strategy questions - Harvard Business Review 2019
[3]O Favereau - B Roger - Penser l’entreprise - Bernardins Collection Humanités 2015
[4]E Klein - Sauvons le progrès - Aube 2017
[5]Père Fréderic Louzeau - Revue des Bernardins - Chaire du numérique - Pour un humanisme numérique
[6]Sophie Amsili, « Le coronavirus, une crise qui modifie notre rapport au progrès », Les Echos, 6 mai 2020

Jean-Bernard Rampini, Directeur de l’innovation et administrateur de Sopra Steria

Pour aller plus loin

  • Rapport RSE, Sopra Steria s’engage pour un monde plus durable et responsable, 2019
  • Blanche Segrestin, Stéphane Vernac, Gouvernement, participation et mission de l’entreprise, Hermann, 2018
  • Ouvrage coll. sous la direction de Blanche Segrestin et Kevin Levillain, La mission de l’entreprise responsable. Principes et normes de gestion., Presses des Mines, 2018
  • Olivier Favereau, Baudoin Roger, Penser l’entreprise. Nouvel horizon du politique, Parole et silence, 2015