Échange épistolaire

Un chrétien, une musulmane : conversation amoureuse


L'amour est au coeur de toutes les religions. C'est également en aimant que l'on renouvelle l'expérience de Dieu. Découvrez l'échange épistolaire entre l'écrivaine Karima Berger et son époux, le psychanalyste Jean-Michel Hirt. Une conversation amoureuse fondée sur l'échange, la découverte et l'écoute de l'autre.

« LETTRE À L’AIMÉE » par Jean-Michel HIRT, psychanalyste

Un jour, pour mon anniversaire, tu m’as offert mon premier coran. Ce fut pour moi la révélation d’une Révélation, « lumière sur lumière » dit la sourate 24 An-Noor au verset 35. J’étais ébloui et bouleversé, tous les prophètes des Écritures juives et chrétiennes se retrouvaient à l’intérieur du Coran, comme en un miroir brisé reflétant d’autres dimensions de leurs histoires et donc d’autres énigmes.

Je ne cessais de te questionner sur l’islam et, surprise, tu revenais sur ce que tu avais connu et appris à la medersa et dans ta famille, tu te réappropriais ici, à Paris, tes origines, tandis que de mon côté je me retournais sur les miennes, mes racines catholiques. Tels ces derviches que nous avons rencontrés plus tard à Damas, nous sommes entrés dans une danse qui n’a de cesse, tournoyant autour de la Thora, des Évangiles et du Coran, nous vivons dans la proximité du Dieu unique adoré sous toutes ses formes, révérant Sa parole au gré de nos voyages et de nos haltes dans les synagogues, les églises, les mosquées, comme dans la lumière changeante de ces paysages marins ou alpins où nous goûtons Sa magnificence. 

L’aventure ne faisait que recommencer pour nous deux : pour toi qui avais découvert Madame la France sur les bancs de l’école, à l’heure sombre où l’oppression coloniale de l’Algérie occultait la langue et les splendeurs de la civilisation arabo-musulmane ; pour moi qui avais respiré les parfums des épices orientales au cours d’une enfance marseillaise, et rêvé devant ces paquebots aux noms évocateurs, Ville d’Alger, Ville d’Oran, ces villes blanches où le sang coulait. Mais les fractures de l’histoire des hommes ne passaient pas par nous.

« Nous étions, toi et moi, des gens du Livre qui cherchions à incarner notre amour. »

Notre idéal se voulait à la hauteur de l’Andalousie de naguère, quand les philosophes juifs, chrétiens et musulmans dialoguaient ensemble jusqu’à l’aube dans les jardins de l’Alhambra.
 

Nous étions, toi et moi, des gens du Livre qui cherchions à incarner notre amour. Nous devenions ces enfants des deux mondes, pour reprendre le titre si éloquent de ton premier livre, où tu osais mettre en regard la Fatiha avec le Notre Père, où tu faisais de la traduction d’un monde à l’autre, d’une langue à l’autre, la morale du couple mixte que nous formons.

 

« L’AMOUR SOURCIER » par Karima BERGER, écrivaine

Nous avons écrit à notre manière notre Livre. Je dois dire que ce livre puise de façon indécente dans la Bible et dans le Coran, on les pille, on les plagie, on les copie mais c’est notre livre de vie, écrit à deux mains, deux corps, deux esprits.

Je t’ai offert ton premier coran, tu m’as offert ma première bible, depuis, nous n’arrêtons pas de les arpenter, ils sont notre terre, notre seule vraie patrie. Et notre métier d’écrivain a trouvé là son inépuisable terreau.

L’amour sourcier ignore les bruits tout autour, il avance guidé par la seule intuition. Sa seule science est le désir. Et l’amour sourcier islamo- chrétien lui est infatigable, sa tâche est rude, il doit arpenter deux territoires à la fois, et quels territoires et en quel siècle ! Mais il sait fouler les terres étrangères mieux qu’Ulysse et Sindbad réunis, il n’a pas peur de la houle ou des tempêtes. L’amour sourcier doit savoir parler au moins deux langues, il aime la traduction des mots et des choses (on traduit beaucoup chez les islamo-chrétiens : comment on dit ça chez toi ? comment on fait ça chez toi ? à quoi ça correspond chez toi ? – pire que des enfants !), surtout la traduction des sens et des significations accordées à nos gestes et rituels. 

« Tu ne connaissais rien à mon islam et moi rien à la profondeur de ta culture »

Tu ne connaissais rien à ma culture, à mon islam et moi, je ne connaissais rien à la profondeur de la tienne, ni même de la mienne que tu m’as fait retrouver par ton entremise amoureuse. Ainsi tu m’as transmis et ainsi tu m’as sauvée. 

Je me croyais la seule étrangère, j’exagérais la dimension tragique de mon exil avant que l’amour sourcier ne me dessille les yeux et ne m’enseigne que, d’abord, il y a l’étrangeté de nous-même, plus vive encore que celle de l’autre. Tu as écrit un magnifique livre que tu as intitulé "S’aimer soi-même comme un étranger". Oui, aimer en soi son propre mystère nous permet d’accueillir le mystère de l’autre.

« Un couple mixte », dit-on, mais quelle plus grande étrangeté que celle existant entre une femme et un homme ? N’est-ce pas une redondance, un pléonasme, et le couple islamo-chrétien ne serait-il pas l’emblème du couple tout court, l’emblème même de l’amour ?

 

Article issu du numéro « Le Collège des Bernardins, incubateur d’espérance », Hors-série, le 1, septembre 2018. 

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