Mode(s) et religion(s)

Tisser une théologie de la mode : penser l’éthique textile

Entretien avec le Père Alberto Ambrosio, co-directeur du nouveau séminaire de recherche « Revêtir l'invisible : la religion habillée ».


Dans le séminaire « Revêtir l’invisible : la religion habillée », fruit d’une réflexion entre le Collège des Bernardins et la Luxembourg School of Religion & Society, le théologien et historien des religions Alberto Ambrosio vise à tisser une théologie de la mode. Rencontre.

Comment vous, théologien et prêtre dominicain, en êtes-vous venu à vous intéresser au sujet de la mode ?

En observant la société occidentale, j’ai compris que la mode était l’un de ses principes structurants fondamentaux. Aucun domaine ne lui est étranger et, à son contact, tout domaine est altéré. Est-il trop osé de dire que même les religions sont assujetties aux lois impitoyables de la mode ? Dans la mesure où aucun domaine ne semble épargné par elle – pas même les sciences ou les religions – je pense qu’étudier la mode permet d’étudier la modernité, sous toutes ses facettes, pour mieux comprendre le monde.

Pourquoi cette approche théologique d’un sujet de société comme la mode ?

Dieu n’est absent de rien. La théologie ne peut exclure de son champ d’étude aucune force structurante du monde. Pourtant, elle n’a jusqu’à maintenant que peu réfléchi à la mode. À l’heure où les fashion studies se structurent de plus en plus dans le monde anglo-saxon, je souhaiterais les introduire en France et les enrichir d’un regard de théologien.

Mode et religions ne sont-elles pas a priori antinomiques ?

Les religions elles-mêmes ont adopté des positions opposées vis-à-vis de la mode au fil des âges. À l’ascétisme et au principe de modestie répondent le faste et l’ornement d’une certaine iconographie religieuse et des vêtements liturgiques. Le Concile de Trente a proclamé la nature solennelle de l’ostentatoire ecclésiastique, mais d’autres figures éminentes comme Tertullien ou Thomas d’Aquin ont défendu une éthique de la sobriété. Du côté de la religion musulmane, les traités expliquant la symbolique du costume soufi sont légion et gagneraient à être étudiés avec les outils des fashion studies. L’un des axes que je souhaite développer dans le séminaire est ce dialogue, à la fois entre les disciplines et entre les religions.

Qu’est-ce que l’étude de la mode peut apporter à la théologie ?

On aurait tort de réduire la mode à une certaine frivolité. Elle pose plus profondément la question du visible et de l’invisible. C’est une question centrale pour la pensée religieuse, dès la Genèse dans la Bible, par exemple, grâce à la symbolique du vêtement. Plus largement, c’est l’une des grandes questions posées par la foi et par le divin. Nous devrions considérer le vêtement et la mode comme une opportunité d’examiner l’image visible du Dieu invisible.

C’est d’autant plus intéressant aujourd’hui que le système de la mode soulève de plus en plus de questions éthiques, de par ses retombées écologiques, économiques, identitaires, sociales… La mode s’interroge elle-même, on l’observe avec l’émergence du courant de la modest fashion – "mode pudique" en français – qui sera l’axe principal du séminaire. Elle interroge aussi le système capitaliste dont elle est, en quelque sorte, l’incarnation parfaite. Les préoccupations actuelles du monde de la mode se rapprochent de celles exprimées par le pape François dans l’Encyclique Laudato si’. Mode et religion n’ont pas seulement des points communs, elles peuvent se nourrir mutuellement.