Humanisme numérique
SOMMES-NOUS PRISONNIERS DE NOS ZONES DE CONFORT ?
La conférence interrogera ce paradoxe : les techniques qui configurent la rupture avec les usages qui nous sont les plus familiers sont en même temps celles qui cherchent à intensifier notre habitude au confort.
Pour cette conférence, l’entreprise mécène Accor Hotels présentera un cas pratique et sera questionnée par un invité.
« Sors de ta zone de confort ! » — on a tous déjà croisé cette phrase quelque part. Les méthodes qui nous incitent à cette forme moderne de dépaysement sont innombrables et montrent bien l’existence d’un marché façonné par une demande paradoxale. En effet, si l’on peut convenir que le confort est un état agréable, pourquoi faudrait-il se forcer d’en sortir ?
Le modèle anthropologique qui caractérise l’idée de « confort zone » peut être défini en fonction de l’image d’un cercle. À l’intérieur de l’aire, on trouvera le confort, à l’extérieur ses antonymes : le stress, la peur, la panique et l’angoisse. Entre les deux on trouverait alors une espèce de frontière dans la forme d’une interface, plus ou moins étanche, que l’on définit parfois en zone de challenge.
Cette représentation de notre rapport au monde un peu simpliste paraît fortement influencée par une opposition particulièrement problématique : d’un côté on trouve l’ouverture aux risques et à l’aventure et de l’autre la fermeture aux nouveautés qui effraient. D’un côté la dépendance à une routine familière, de l’autre l’effort de s’en arracher. L’ensemble des représentations qui structurent le champ de l’innovation numérique semble à plusieurs égards s'inscrire à l’intérieur de ce cadre : la recherche de la disruption est entièrement tournée vers le challenge, le dépassement d’habitudes confortables, elle suscite des peurs, elle assume la destruction d’un environnement.
Pourtant à cette représentation un peu hâtive des nouvelles valeurs numériques s’oppose une considération surprenante. La recherche de la disruption semble souhaiter détruire l’état du monde afin de composer un environnement plus confortable pour l’usager. Aux modèles standardisés se substituent, grâce à la récolte de données et au profilage, des modèles plus proches de l’individualité de l’usager afin d’améliorer son expérience, de la rendre plus immédiate, souple, familière. Aux incitations pédagogiques pour une formation qui est aussi une épreuve formelle, inconfortable, pour le changement de soi, la plupart des nouvelles technologiques préfèrent un autre mot d’ordre : be yourself.
La recherche du confort cache-t-elle une volonté de soumission volontaire ou un désir de reconnaissance ?
La critique du confort est-elle un exercice de privilégiés ?
A-t-on déjà été aussi confortable et accablé par le ressentiment ?
Une subjectivité parfaitement confortable peut-elle être tout à fait humaine ?
C’est sur le sujet de « l’expérience personnalisée client » que Pierrick Le Masne de l'entreprise mécène Accor hotels interviendra à cette conférence. Grâce aux solutions numériques et en particulier grâce à sa solution de gestion de la relation client, Accor Hotels recueille des informations précises sur ses clients (avec l’accord explicite, « opt-in »). Les informations permettent aux hôtels de mieux anticiper les besoins de leurs clients, de mieux personnaliser leur prestation en terme d’accueil et de bien-être, pour ensuite mieux adapter les « produits » en fonction des tendances qui s’en dégagent.
Bibliographie
- Melinda Beck, Anxiety Can Bring Out the Best, The Wall Street Journal, Dow Jones & Company, 18 June 2012, Web, 22 January 2017
- Melody Wilding, Please stop telling me to leave my comfort zone, Anxi Magazine No. 3, November 2018
- Bernard Stiegler, Dans la disruption, Editions Les liens qui libèrent, 2016
- R.Yerkes et J. Dodson, The Dancing Mouse, A study in animal behavior, 1907, Journal of comparative neurology & psychology, number 18, pp 459–482
- Alain Damasio, La zone du dehors, Editions La Volte, 2016
- Michel de Montaigne, Essais, impr. De S. Millanges, 1580, en particulier chapitre 31
- Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Editions Gallimard 1947, en particulier Note de la seconde édition, p. 436
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