Relire les Écritures

Une exégèse au féminin : De nouveaux regards sur les textes sacrés


À l’occasion de la séance inaugurale du séminaire « Femmes et religions en Méditerranée », trois spécialistes des traditions juive, chrétienne et musulmane ont réfléchi aux implications d’une relecture des textes sacrés par des femmes. Qu’est-ce qu’une exégèse au féminin ?

Aux personnes qui affirment « un seul Dieu, une seule Révélation, une seule interprétation », elles répondent qu’une relecture critique des textes est bénéfique, voire indispensable, pour éviter que leurs sens ne se figent. « Souvenez-vous de l’épisode de la tour de Babel où la pensée unique était dénoncée et la diversité humaine réaffirmée ! », rappelle Pauline Bebe. Les relectures qu’elles proposent se conjuguent au féminin pluriel.

Des lectures au féminin pluriel

Ces relectures ne sont pas forcément féministes et ne sont pas non plus l’apanage des femmes. Si une herméneutique féministe a bien émergé dans chacune des religions abrahamiques, les objectifs visés par Pauline, Anne-Marie et Kahina sont bien différents. Les lectures des textes bibliques au féminin pluriel cherchent à approfondir la connaissance et l’intelligence des Écritures, à en saisir toute la complexité. Les textes sont certes toujours les mêmes, mais la diversité des regards en éclaire de nouveaux aspects. Les femmes apparaissent comme une partie intégrante du plan divin, à part égale avec les hommes.

Pauline Bebe - Première femme rabbin de France

Je refuse, pour ma part, l’expression « lecture féminine » qui nous enferme dans une vision genrée des textes sacrés. Il me semble que nos capacités cognitives de réflexion, d’imagination et d’interprétation ne sont pas induites uniquement selon des critères biologiques. Je soutiens une lecture que j’aime à appeler égalitaire et inclusive. Il ne faut pas reprocher au texte de ne pas être égalitaire, ce n’était ni l’objectif ni même envisageable à son époque. En revanche, une interprétation moderne, égalitaire et inclusive ne dépend pas du sexe et ne doit pas être réservée aux femmes. Il s’agit, par exemple, de mettre en lumière les « récits égalitaires » existants qui ont été occultés.

Anne-Marie Pelletier - Docteure en sciences des religions

Tandis que le souci du féminin a fini par s’imposer à la lecture chrétienne des Écritures bibliques au long du XXe siècle, l’exégèse critique permet aujourd’hui de réévaluer une présence du féminin traditionnellement ignorée. Si elle met en évidence l’imprégnation patriarcale qui est celle du monde du texte biblique à l’échelle des deux Testaments, elle permet aussi d’identifier la manière dont les femmes interviennent aux aiguillages décisifs de l’histoire du salut. Ainsi, aux heures de péril, des femmes comme Déborah, Judith ou Esther surgissent, soutiennent l’espérance et ouvrent un avenir au peuple. In fine, il n’y a d’incarnation et de salut en monde chrétien que parce qu’une femme, Marie, fille d’Israël, mère de Jésus, acquiesce au plan de Dieu.

Kahina Bahloul - Première imame de France

L’exégèse globalisante théorisée par Amina Wadud et qui est la mienne cherche à retrouver l’esprit initial du message divin. Il s’agit d’analyser le texte dans sa globalité afin de restituer certaines interprétations en termes neutres et de réinscrire certaines interprétations jugées universelles dans leur environnement historique. Dans le cas de l’imamat féminin, par exemple, il existe cinq avis contradictoires donnés par des jurisconsultes, dont quatre qui interdisent totalement ou partiellement à une femme de diriger la prière. Or, selon un hadîth rapporté dans plusieurs recueils, une femme nommée Umm Waraqa, qui connaissait le Coran par cœur, se serait vu accorder un muezzin par le Prophète en personne. S’il ne voulait pas qu’une femme prêche, pourquoi donc lui mettre un muezzin à disposition ?