Magazine du Collège des Bernardins été 2020
Du vin au divin : trajectoires d’une humble alchimie
« Du vin au divin » : c’était le titre espiègle de la session intersemestrielle de la faculté Notre-Dame les 30 et 31 janvier derniers. Retour avec Jean de Saint-Cheron, étudiant à la faculté Notre-Dame, sur les étonnantes trajectoires proposées lors de ce voyage enivrant à la rencontre de l’invisible : du travail de la terre au culte du divin.
30 janvier 2020 - les caves Legrand offrent à la faculté une très belle dégustation de vins, commentée par S. Burel - © Guillaume Poli/CIRIC
« Le surnaturel est lui-même charnel » écrivait Péguy au cœur d’Ève, sa grande fresque du salut. Aussi la session du bureau des étudiants de la faculté Notre-Dame, fin janvier, a-t-elle été pensée comme une progression du vin au divin, du plus charnel au plus spirituel, les deux s’entrelaçant toujours. Au fil de quatre demi-journées nourries de remarquables exposés sur le vin, Dieu s’est ainsi progressivement dévoilé dans le fruit de la vigne et du travail de l’homme, et la conscience paradoxale de la grandeur de l’homme et de son indispensable humilité ont été révélées. Car Dieu est toujours le premier à semer, à faire croître, à donner du fruit, à vendanger et à déposer sa vie pour ses amis.
Travailler la terre : un labeur harassant et sublime
La première matinée fut l’occasion d’un débat passionnant entre le célèbre Jean-Robert Pitte, auteur du Désir du vin à la conquête du monde, Marthe Henry, jeune et talentueuse vigneronne du domaine Boillot de Meursault, et Sébastien Burel, œnologue et consultant en vin. Au cœur du dialogue a surgi une tension entre la joie païenne des promesses d’une boisson qui enivre et l’extraordinaire ascèse que sa production requiert : travail de la terre, de la plante, des fruits… Un labeur empreint d’humilité devant la nature qu’il faut à la fois dompter et soigner, inlassablement, pour en extraire un don du ciel, un grand vin de Bourgogne.
L’alchimie, jusqu’à l’ivresse
François Mitjaville, prestigieux vigneron autodidacte de la rive droite de la Garonne, nous fait entrer dans le mystère de l’homme en quête d’absolu. Depuis nos lointains ancêtres prognathes qui avaient découvert les joies du fruit fermenté au pied des arbres jusqu’à l’œnologue qui, dans ses chais, veille à la parfaite macération bordelaise, l’humilité des humains devant cette alchimie divine s’est à nouveau révélée.
Pierre Michon, auteur des Vies minuscules, nous a quant à lui guidés dans une traversée des livres et de l’écriture à travers le prisme de la boisson. C’est que le combat de l’humain contre la mort et le malheur se retrouve dans ces deux élans que sont le désir d’ivresse et la création littéraire. L’humain tout entier est saisi par un impossible qui devient réel, soûlé merveilleusement, arraché à la pesanteur du monde mais, immanquablement, il retombe.
La parole et l’alcool sont les deux grands vertiges de l’humanité. Un livre ne suffit pas, une cuite non plus. Il faut plus. Pour Pierre Michon, les plus grandes joies de l’homme ne sont pas à chercher dans l’ivresse. Lui, l’agnostique, le poète intraitable, fait mourir l’abbé Bandy dans le sens plénier et retrouvé de « la bouleversante signifiance du Verbe universel » dans ses Vies minuscules et affirme que si les apôtres avaient l’air ivre à la Pentecôte, c’est parce que « l’Esprit saint fait bien plus de quarante degrés ».
Le vin dans la Bible : un temps de questionnement
Le dialogue entre le très savant rabbin Marc-Alain Ouaknin et le père Philippe Lefebvre, auteur de Ce que dit la Bible sur le vin, enrichi de la lecture du père Henry de Villefranche, a donné lieu à un passionnant échange d’œnologie biblique et une belle leçon. Le rabbin Ouaknin choisit de s’attarder sur l’importance du temps, car faire du vin requiert patience ; presque autant qu’apprendre à aimer et à vivre selon la vérité. Le vin nous est donné par la Bible pour nous apprendre que le temps de la culture, de la vinification, de l’élevage, de la boisson, forment une image du temps de questionnement devant la vérité.
Le père Philippe Lefebvre a proposé de son côté une magistrale traversée de l’Écriture, dont on tire un enseignement sur la fructification de l’homme lui-même. Fructifier, de la Genèse à saint Paul, ce n’est pas seulement se reproduire, mais c’est se laisser traverser par le projet de Dieu pour l’accomplir. La vigne portant son vin à terme en est peut-être le symbole le plus éclatant.
Du vin au sang du Christ
Les interventions du père Florent Urfels, du diacre vigneron Olivier de Boisgelin et de la théologienne Frédérique Poulet ont tour à tour vu dans le vin la peine de l’homme et sa grande aspiration à l’absolu. Pour eux, le vin est donc signe de l’actualisation de la Passion, mais aussi de la joie eschatologique anticipée, en quelque sorte déjà donnée. Le sang du Christ, c’est le don de toute sa vie, sa mort qui nous fait vivre et déjà nous enivre. Mais le père Urfels insiste : le vin n’aura sa pleine saveur que dans le royaume divin, où Juifs et païens seront éternellement réunis.
Jean de Saint-Cheron, étudiant en 4e année à la faculté Notre-Dame