Magazine du Collège des Bernardins été 2020

Au temps de la Covid-19, retrouver le sens du soin

Article de Véronique Lefebvre des Noëttes


L’épidémie de Covid-19 rend du sens aux soins. Comment avons-nous pu égarer le sens des plus beaux métiers, ceux des soignants ? La psychiatre Véronique Lefebvre des Noëttes, qui codirige avec le père Brice de Malherbe le séminaire « La médecine confrontée aux limites » du Collège des Bernardins, revient sur la notion de soin à l’heure du Covid-19.

Le soin n’est jamais réductible à un acte, c’est une manière d’être. Il désigne une pensée qui préoccupe l’esprit et prépare aux actes par lesquels on veille au bien-être de quelqu’un. Lorsqu’il est pratiqué à l’hôpital, il vise à maintenir la santé, à la restaurer, à guérir, mais aussi à accompagner les maladies chroniques dans le temps. Enfin, aux moments ultimes de la vie et par-delà le décès, il vise à prodiguer les derniers soins. Il est donc à la fois holistique, singulier, technique, psychique et cognitif. Il est une praxis qui peut se faire seule ou en équipe et dont la finalité est, même dans les moments les plus dégradés, d’affirmer, sans condition et sans partage, la dignité humaine intrinsèque à toute personne. Le mot sens est, lui, polysémique. Il nous indique la sensorialité, la sensualité, la signification et la direction. 

Crise du sens, crise du soin 

L’épidémie de Covid-19, moment tragique, est paradoxalement venue nous rappeler le sens du soin. Elle nous a renvoyés à nos vulnérabilités et à notre humaine condition. Aux soignants, elle a rappelé la raison d’être de leur métier : savoir accueillir la douleur et la souffrance des autres. Savoir être là, dans une juste distance ou un juste rapproché. Savoir laisser une chambre d’écho à l’indicible. Savoir prendre la main malgré les gants, le masque et les tenues de protection. Pouvoir agir, malgré nos moyens parfois dérisoires, sans compter et sans conditions. 

Il est vrai que les soignants étaient assignés depuis plus de dix ans à produire du soin sans en faire vivre le sens. Certains en avaient perdu leur vocation. Du fait des différentes réformes de l’hôpital et d’une recherche accrue de rentabilité, ils s’étaient résignés aux protocoles, sans âme, comme une mécanisation de soins répétitifs et déshumanisés. Pourtant, on ne cessait de nous rappeler que le patient était au coeur du soin. Désireux de retrouver le sens de leurs métiers, les soignants tentaient de faire entendre leurs cris d’alarme, parfois de façon désespérée, en vain. 

Pratiquer le soin, repenser l’être à l’autre 

Au temps du Covid-19, les personnels soignants de tous types ont réinventé l’être à l’autre, par leur considération et leur entière disponibilité. Par des regards, des paroles, des gestes doux et bienveillants, ils ont maintenu la dignité humaine jusqu’au bout, alors que le soin semblait réduit à sa plus humble manifestation, loin de la haute technicité des salles de réanimation. 

Ces manifestations du soin ne s’apprennent plus depuis longtemps, mais elles se pratiquent encore dans les services de gériatrie, lorsqu’on prodigue les derniers soins à une personne âgée qui s’en va seule, sans famille et sans rituels. Dans ces moments si difficiles et dans l’impossibilité de proposer des soins curatifs, les soignants sont aux petits soins. Quelle belle leçon d’humilité et d’humanité que d’entendre ces soignants parler aux personnes âgées, les appeler par leur prénom, leur expliquer la démarche jusqu’à l’après, leur prodiguer, avec douceur, des soins de confort jusqu’au crépuscule de la vie. 

La caresse du soin, sortir de soi 

Transformé en mots tendres et respectueux, gestes ancestraux et caresses gantées, le soin est ainsi devenu présence d’une transcendance au coeur de l’immanence

Car comme l’écrivait Emmanuel Levinas dans Totalité et infini, la caresse ne vise « ni une personne ni une chose ». Elle fait naître un entre-deux, un monde intermédiaire, où chacun, à la fois touchant et touché, n’est plus exactement soi-même, sans être pour autant devenu autre. Consistant « à ne se saisir de rien », la caresse se contente d’effleurer. Elle glisse, tout en tact, indéfiniment. Elle cherche, sans savoir quoi, sans rien trouver, mais sans cesser. Elle « marche à l’invisible ». La caresse « transcende le sensible »

Dre. Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre de la personne âgée APHP 

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Dr Michel Geoffroy

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