# Limite

Du confinement à la nef

limite

 

« La profondeur spirituelle est illimitée »

No limits ! N’est-ce pas la passion secrète de l’humanité ? Depuis que l’homme est homme ne cherche-t-il pas à repousser toute limite, traverser toute frontière, élargir ses horizons, explorer les rives inconnues ? Limite immédiate : celle de notre corps. Nous sommes impatients de notre corps. Par lui notre vie est bornée entre naissance et mort, nous sommes fixés dans l’espace et le temps. Nous rêvons de toute-puissance et nous nous heurtons au corps fatigable. Nous souffrons de confinement corporel. Notre intellect aussi montre ses déplorables limites.

Pour surmonter nos insuffisances nous avons inventé des machines en quantité. Nous projetons d’améliorer le corps lui-même. La limite n’appellerait-elle à rien d’autre qu’à être dépassée, repoussée ? Les circonstances actuelles invitent à redécouvrir sa valeur. La limite est ce qui donne forme, dessine les contours d’une identité définie, et, par ce fait même, rend possible l’altérité. En m’empêchant d’être tout et d’avoir tout, la frontière ou la borne permet à l’autre d’exister à côté de moi et d’entrer en relation avec moi.

Nous nous pensions tout-puissants, capables d’un progrès indéfini, sans limite. Nous nous heurtons à la finitude. Nous voici confinés, menacés par un être minuscule. Seule la profondeur spirituelle est illimitée : les esprits n’empiètent pas les uns sur les autres, ils s’enrichissent mutuellement. Plutôt qu’une expansion matérielle indéfinie, réorientons notre désir d’infini dans la sphère de l’esprit.

Père Jacques de Longeaux, docteur en théologie, directeur de recherche au Collège des Bernardins

 

« Avec Van Eyck, le spirituel est dans la matière »

Les douze panneaux peints du retable de l’Agneau Mystique de Gand, lorsqu’il est fermé, illustrent la scène de l'Annonciation. C’est la scène primordiale où tout bascule. L’espace clos de la chambre est élargi aux dimensions de l’univers. Marie, l’Ange Gabriel, juifs, païens, donateurs, disciples, tous attendent, groupés autour de deux petits panneaux centraux presque vides. Celui de gauche ouvre sur l’extérieur, le droit est envahi par le silence d’une nature morte. Une aiguière, un bassin luisent doucement, surmontés d’un trèfle de lumière sous un pinacle, tel un tabernacle.

agneau mystique

 

Plus étrange encore, un linge blanc constitue la partie la plus claire du tableau. Le tissu rêche devient linceul. Ce point mort bat comme un cœur, autour duquel les personnages semblent danser une ronde. Le peintre le place au centre, comme si l’objet le plus quotidien symbolisait une présence. L’ordinaire devient extraordinaire. Autant d’indices où l’esprit épouse la matière, qu’il transcende.

Dans la réalité, il y a le symbole, qui donne à voir au-delà des apparences, et de tout confinement. Van Eyck interroge ainsi la banalité supposée, la richesse cachée, la profondeur insoupçonnée du sens de notre existence quotidienne. Le spirituel est dans la matière. Il demeure partout où l’on veut bien le voir.

Mélina de Courcy, diplômée de l’École du Louvre, professeur d’histoire de l’Art au Collège des Bernardins

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