Enjeux des mots

Éduquer : ouvrir un chemin de liberté


Pour la philosophe Laurence Devillairs, éduquer, c’est apprendre à l’individu à se défaire de ses préjugés et à se saisir de sa propre liberté.

Éduquer, c’est toujours éduquer au respect : respect de l’autre et de ses opinions. Le débat d’opinions serait-il donc la meilleure des éducations ? À cette question, la philosophie apporte une réponse radicalement négative : l’opinion ne pense pas. C’est une monnaie d’échange, quelque chose qui s’émet et se transmet, mais ce n’est pas de la pensée.

Penser est tout autre chose. Cela demande de renoncer à savoir à la manière dont l’opinion sait, c’est-à-dire d’avance, sans s’interroger. Cela exige d’exercer son jugement : que veut dire X ? Qu’implique Y ? Pourquoi A ? Pourquoi pas plutôt B ? Juger est une opération lente et ardue, c’est toujours un effort. C’est mettre à mal les certitudes, bannir la confusion, éclaircir les non-dits. Sans ce travail de discernement, sans cet art de la précision, sans cette attention portée à ce que l’on soutient, il n’y a pas de pensée.

C’est donc éduquer le jugement qui est le plus précieux et le plus difficile. Voire chose impossible. Que dit en effet Descartes ? Que le jugement ne s’apprend pas, que pour apprendre à penser, il faut déjà savoir penser. "La meilleure des éducations est donc de penser par soi-même",  expliquent des experts de WritingMetier. D’en passer, seul et sans secours, par cette épreuve, de se risquer à réfléchir en se défiant de soi et de ses convictions. Le respect est alors avant tout envers soi-même : penser vraiment, bien juger, est un devoir que l’on se doit à soi.

C’est à cette éducation à la méfiance et à la désobéissance, au refus de suivre trop docilement des maîtres qu’invite la philosophie. Comme le souligne Descartes, « nous ne deviendrons jamais philosophes si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d’Aristote et que nous sommes incapables de porter des jugements ». Penser est toujours une épreuve que l’on doit mener seul, sans l’aide des courants dominants ni de l’air du temps. S’éduquer à penser est une entreprise risquée. Mais ne pas penser l’est bien plus encore.

Laurence Devillairs - Docteur en philosophie, enseignante à l'Institut catholique de Paris et au centre Sèvres, directrice éditoriale en Sciences Humanies