Art et Culture

« Lors de la création de l’homme, une chose particulière fut tirée de la terre : c’est l’homme »


Abbesse bénédictine allemande du XIIe siècle, sainte et docteure de l’Église, Hildegarde de Bingen offre, à travers ses écrits, une vision de la nature et de la Création qui entre en dialogue avec le monde contemporain. À l’occasion de la soirée littéraire « À la rencontre de Hildegarde de Bingen », le 14 octobre 2020, en partenariat avec le séminaire La Voix d’un texte de l’École Normale Supérieure de Paris, deux professeures et un comédien nous inviteront à entendre et (re)découvrir un florilège de ses écrits médiévaux.

Entretien avec Delphine Meunier, fondatrice de La Voix d’un texte, et Sylvie Bethmont, enseignante-chercheure en histoire de l’art médiéval au Collège des Bernardins et professeure-invitée de cette soirée.

Comment la rencontre entre universitaire et comédien et le croisement des disciplines permettent-ils de nourrir l’intelligence du texte ?  

Delphine Meunier. Université et théâtre sont deux mondes qui communiquent peu alors qu’ils travaillent sur un même matériau : les textes. Ceux-ci peuvent donc être le lieu d’une rencontre qui permet à chacun de venir exposer son approche, nourrie de traditions distinctes. Le professeur peut situer un texte dans son contexte, mettre des noms sur des phénomènes stylistiques qui le caractérisent. Le comédien, lui, fait entendre le texte.

La lecture orale, première pratique de la lecture avant la lecture silencieuse, a presque disparu aujourd’hui. Or, c’est cette lecture qui peut faire entendre le rythme et les sonorités – là où le discours du professeur les décrit et commente. La richesse de ces soirées tient donc à l’amour que partagent professeurs et comédiens pour les textes et la langue, passion identique qu’ils expriment de manière différente et complémentaire. 

Comment ces soirées littéraires permettent-elles de rendre vivant un héritage du passé et de renouveler notre regard sur une parole historique ? 

D.M. Le dialogue entre la voix du professeur et celle du comédien nous rapprochent, de manière vive et incarnée, de voix lointaines. Le dialogue et ses imprévus, la lecture et ses surprises, permettent de rapprocher les grandes voix qui ont traversé les siècles. Dès ses origines, « La Voix d’un texte » a eu à cœur d’ouvrir ces soirées littéraires au grand public, en s’inscrivant dans une démarche de diffusion des savoirs. Permettre au public de rencontrer des universitaires, spécialisés dans des domaines très pointus, et des comédiens, c’est aussi se rendre compte que nos contemporains ont quantité de choses à nous transmettre à partir des écrits du passé.  

En quoi les écrits médiévaux de Hildegarde de Bingen entrent-ils en dialogue avec le monde contemporain et ses préoccupations actuelles ? 

 « Lors de la création de l’homme, une chose particulière fut tirée de la terre : c’est l’homme. Et tous les éléments étaient à son service, car ils sentaient que celui-ci était vivant, et ils coopéraient avec lui à toutes ses entreprises, et lui coopéraient avec eux. »

Hildegarde de Bingen, Livre des subtilités des créatures divines, Préface

Sylvie Bethmont. Si le pape Benoit XVI avait déjà conscience en 2007 que « l’un des domaines dans lequel il apparaît urgent d’œuvrer, est sans aucun doute la protection de la création », il a fortement contribué à la diffusion de l’intérêt pour Hildegarde de Bingen, en la proclamant, en l’année 2012, sainte puis docteure de l’Église. Cette décision met l’accent sur l’actualité de cette sainte qui considère l’être humain, corps et esprit, comme un tout, et le met au centre de la Création dont il a la gérance. « Le monde entier en Dieu » est, pour elle, « la demeure de l’homme ». 

Hildegarde de Bingen est considérée comme une figure pionnière de l’écologie intégrale, prônée par le pape François dans son encyclique Laudato si’. Quelle est l’originalité de sa conception de la Création ? 

S.B. La redécouverte de Hildegarde de Bingen va de pair avec la prise de conscience de l’urgence des questions environnementales, avec la constatation de l’état de notre terre et de la fragilité de l’être humain. Ses écrits visionnaires sont apparentés à ceux, prophétiques, de l’Ancien Testament et sont proches, par leurs images et leur vocabulaire, des Apocalypses (Daniel, Jean). L’abbesse bénédictine y célèbre la beauté et la bonté de la Création, grandiose théophanie au centre de laquelle l’être humain est placé pour son bonheur.

En cela, de multiples échos peuvent être trouvés dans l’encyclique Laudato si’ du Pape François. L’année Laudato si’ est l’occasion pour le Pape François d’inviter « toutes les personnes de bonne volonté » à se joindre à nous pour « prendre soin de notre maison commune ». Partageons, avec Hildegarde de Bingen et Saint François d’Assise, leur faculté d’émerveillement devant les richesses de la Création et prenons ensemble ce chemin de conversion, personnelle, auquel nous convie le pape, à ce que l’on nomme actuellement « écologie intégrale ».