AU CŒUR DE L’ACTU

Quel avenir pour notre liberté ?


Quel monde voulons-nous pour demain ? C’est le fil conducteur des États généraux de la bioéthique lancés en janvier dernier. Pour Anne Lécu, sœur dominicaine, médecin et philosophe, l’essentiel est de questionner notre rapport au progrès technique.

« L’homme n’est-il pas un être doué de raison et donc capable de progresser en vertu et pas seulement techniquement ? »

Le 18 janvier 2018, le professeur Jean-François Delfraissy a ouvert les États généraux de la bioéthique avec cette question : Quel monde voulons-nous pour demain ? En amont des neuf thèmes épars, proposés au risque de morceler la réflexion, surgit la question essentielle : Qu’est-il en train de se passer ? Question brûlante, question difficile… Il se pourrait bien en effet que notre pouvoir de faire (ce qu’on appelle le progrès technique) soit en passe d’excéder notre pouvoir de penser ce que nous faisons. Malgré les difficultés, il est urgent de questionner ce

progrès. L’homme n’est-il pas un être doué de raison et donc capable de progresser en vertu et pas seulement techniquement ? Il nous revient de promouvoir une forme de rationalité non technique, nourrie de philosophie, de droit, et pourquoi pas de théologie, capable de dialoguer avec la technique.

Quel monde voulons-nous pour demain ? La question semble supposer qu’il nous appartient de choisir le monde que nous voulons, que demain est assuré, et qu’il y aurait un nous homogène uni dans ses désirs. Mais rien n’est si sûr. Qui est nous ? Comment faire pour promouvoir la question du bien commun, en ayant le souci de protéger le faible contre le fort ? De quel monde parle-t-on ? Peut-on vouloir un monde, comme s’il y avait des mondes possibles ? Ne vaudrait-il pas mieux vouloir le monde, c’est-à-dire vouloir que le monde soit, et que des hommes l’habitent ? Mais ce sont les hommes et les femmes libres qui rendent le monde habitable. Alors, comment protéger cette liberté, et quelle est-elle ? La liberté disparaît en réalité si des intérêts financiers exercent une pression telle qu’ils nous conduisent à accepter ce qui contredit notre identité ou notre dignité. Comment veiller à ce que la loi du marché ne remplace pas l’altruisme et la sollicitude pour les plus vulnérables ? Comment éviter que la bioéthique – en toute rigueur, il vaut mieux parler d’éthique biomédicale – ne soit supplantée par la bioéconomie en laquelle le corps devient le nouveau lieu d’investissement selon un raisonnement de capital-risque ? Ainsi la question se retourne : de quel monde ne voulons-nous pas ?

Anne Lécu - Codirectrice du département d’éthique biomédicale, pôle de recherche du Collège des Bernardins