Enjeux des mots
Intelligence artificielle : une contradiction dans les termes ?
« Pourquoi avoir associé les mots intelligence et artificielle dans une même expression, alors que ces concepts ne semblent rien partager ? » Samuel Laval et Robin Steiger, deux étudiants de Polytechnique, apportent un éclairage sur le sens de ces deux mots dont l’association éveille craintes et fantasmes.
La question rejoint des préoccupations énoncées par Alan Turing en 1950, dans un article intitulé « Computing Machinery and Intelligence », considéré aujourd’hui comme fondateur de l’idée d’intelligence artificielle. Que veulent dire les mots intelligence et artificielle ? Est-ce que leurs définitions laissent entrevoir la moindre intersection ? Ou bien ces concepts sont-ils ontologiquement et définitivement séparés ? Dans ce cas le concept d’intelligence artificielle n’aurait aucun sens ? À première vue, l’intelligence semble être propre à l’être humain, c’est ce dont il dispose par nature, tandis que l’artificiel, souvent présenté comme l’opposé du naturel, est ce qui existe grâce à une intervention de l’intelligence humaine. Est-il alors possible d’envisager que l’intelligence humaine puisse construire son semblable, et donc qu’il puisse exister une intelligence artificielle ?
Savoir apprendre revient-il à savoir penser ?
Les humains ont réussi à construire des machines capables d’imiter certains aspects très particuliers de leur intelligence, et non pas des intelligences omniscientes qui seraient les égales des êtres humains. Les récents algorithmes de machine learning sont dits intelligents car ils sont capables d’apprendre, c’est-à-dire de capitaliser sur les événements qu’ils rencontrent pour s’améliorer. Mais ils sont entièrement dépendants des humains qui supervisent et déterminent cette phase d’apprentissage. Ces algorithmes ne pensent pas, ne sont pas conscients de leurs réussites ou de leurs échecs et donc encore moins de la manière de les prendre en compte à l’avenir. Ils ne sont en aucun cas autonomes puisqu’ils sont limités à un problème parfaitement défini à l’avance, dont ils ne peuvent pas sortir. Ce n’est donc qu’une infime partie du concept d’intelligence que les humains ont réussi à traduire en termes algorithmiques, partie qui exclut toute conscience, ou encore toute dimension émotionnelle ou sociale.
Une infime partie du concept d’intelligence
« Je crois qu’à la fin du siècle, l’usage, les mots et l’éducation de l’opinion générale auront tant changé que l’on pourra parler de machines pensantes sans s’attendre à être contredit », écrit Alan Turing dans son article. Il ne pouvait pas mieux se tromper, tant les discussions et débats à propos de l’intelligence artificielle sont omniprésents ces dernières années. Il est donc important, au milieu de cet océan d’informations, de comprendre le sens précis de ce qu’est l’intelligence artificielle afin d’éviter une vision alarmiste (la machine dépasse l’homme) ou au contraire prophétique (la machine va sauver l’homme), et ainsi de se rendre compte que la conclusion de Turing écrite il y a presque soixante-dix ans est toujours d’actualité : « Notre vision de l’avenir est limitée, mais du moins nous voyons qu’il nous reste bien des choses à faire. »
Samuel Laval et Robin Steiger - Étudiants de l’École polytechnique