Jeunes Mécènes

L’humain au-delà de ses limites


Comment réussit-on à (sur)vivre dans des situations de détresse extrême ? Quelles sont les forces intérieures qui font de l’homme un être aux ressources insoupçonnées ? Retour sur une soirée d’exception au cœur de l’expérience humaine avec la skippeuse et navigatrice Clarisse Crémer, l’explorateur Christian Clot, et Mgr. Alexis Leproux, président du Collège des Bernardins et vicaire général du diocèse de Paris.

Science, théologie et sport interrogent les limites humaines. C’est cette exploration des confins qui unit les trois invités venus témoigner de leurs expériences à la soirée des Jeunes Mécènes, le 16 septembre 2019. La devise olympique « Plus vite, plus haut, plus fort » pourrait être la leur, comme elle pourrait être celle de l’humanité. Elle qui, depuis des siècles, ne cesse d’explorer terres inconnues, milieux extrêmes, océans et espace, repoussant les frontières de la connaissance, de l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand.

De l’exploration du monde à l’exploration de soi

À l’heure de la très haute technologie et de l’intelligence artificielle, une quête séculaire semble prévaloir sur toutes les autres : celle de l’exploration de soi. Si la science et la médecine ont connu des avancées considérables au fil des âges, elles sont encore aujourd’hui démunies lorsqu’il s’agit de comprendre l’âme humaine. 

Comment survit-on à l’insupportable ? Comment vit-on les situations de détresse extrême ? D’où viennent les ressources qui nous permettent de repousser nos propres limites ?

L’émerveillement, le rêve, l’amour, la foi

Les amoureux de l’infini Christian Clot, Clarisse Crémer et Alexis Leproux ne se retrouvent pas dans la tentation transhumaniste qui érige le dépassement de soi en mode d’existence. Pour eux, nos ressources intérieures et nos capacités cognitives sont la réponse. L’émerveillement, le rêve, l’amour et la foi sont des forces invisibles qui donnent aux humains des capacités prodigieuses.

C’est en renouant avec sa vie intérieure, comme avec son environnement, que l’humain – être social, spirituel et poétique – pourra répondre aux défis écologiques actuels.

Vivre des situations extrêmes n’est pas l’apanage des grands sportifs ou des grands explorateurs, c’est le lot de chaque être humain confronté à une détresse immense face à une situation qu’il ne comprend plus. La question est alors : quelles ressources avons-nous pour continuer à vivre dans de telles situations ? J’insiste sur le mot vivre, je ne parle jamais de survie. La survie, c’est la perte. Pour créer la vie, pour surmonter l’épreuve, il faut trouver les ressources au fond de soi et au fond des autres, car en réalité nous sommes des animaux essentiellement collaboratifs, nous ne cessons d’apprendre les uns des autres.

Dans un monde individualiste, on oublie trop souvent que la plus grande assistance qu’un humain puisse recevoir, c’est le réconfort d’un autre humain qui lui parle. Et dans une situation de paroxysme, où le basculement entre la vie et la mort est extrêmement ténu, la seule chose qui nous permet d’exister c’est notre capacité à nous émerveiller et à croire que demain en vaut la peine. Cette capacité à ne pas céder à la nostalgie d’un passé révolu et à se battre pour un demain meilleur, c’est ça l’émerveillement et c’est primordial dans le monde d’aujourd’hui.

Christian Clot, explorateur-chercheur et CEO de l’Institut Adaptation

Henri Guillaumet et saint Maximilien Kolbe sont deux figures qui m’ont énormément marqué dans ma vie spirituelle. On ne peut rester indifférents à la force intérieure et mystique de ces deux hommes. On peut dire que c’est un miracle, et j’y crois assez, mais on peut dire aussi que tout homme est un miracle, car tous ont en eux cette force intérieure pour se dépasser.

Ce pouvoir qu’a l’homme, par son imaginaire, par sa représentation intérieure, par sa capacité d’aimer, à ne pas s’enfermer dans quelque chose de mortifère, c’est finalement ce que nous, chrétiens, appelons « l’homme image de Dieu ». Cette parole qui nous dit de vivre, elle doit être entendue au niveau personnel mais aussi social.

Nous devons nous éloigner de la voie funeste dans laquelle le paradigme techno-scientifique nous enferme. Par des expériences humaines, poétiques et spirituelles, l’homme doit renouer avec lui-même, avec les autres, et avec l’ensemble du vivant. En nous éveillant à cette énergie, nous trouverons la force en nous-même pour porter le monde dans ses difficultés actuelles. C’est en sortant de notre zone de confort que nous découvrirons que chaque jour peut être un rêve immense.

Mgr Alexis Leproux, président du Collège des Bernardins et vicaire général du diocèse de Paris

Quand j’ai commencé à envisager les grandes courses en solitaire, je ne m’en pensais pas capable. L’idée de devoir dormir par toutes petites tranches me semblait par exemple irréalisable, moi qui suis une grosse dormeuse ! En réalité, j’ai découvert que nous avions en nous des ressources inestimables bien souvent insoupçonnées. C’est lorsqu’on est seul face à nous-mêmes, sans possibilité d’assistance extérieure, que l’on peut se rendre compte de l’immensité des capacités humaines. En l’absence de ceinture de sécurité, le cerveau, consciemment ou inconsciemment, trouve en nous les ressources pour régler les problèmes techniques ou psychologiques que l’on peut avoir à bord.

Il faut réaliser que dans une course, comme dans la vie, les moments de détresse n’interviennent pas forcément dans les situations les plus dangereuses, mais dans celles qui nous atteignent mentalement. La lassitude, la solitude, le désespoir sont les véritables conditions extrêmes. Dans ces cas-là, c’est la projection mentale – la force des souvenirs – qui permet de trouver en nous les ressources pour tenir. Le plus dur dans la vie, c’est de prendre la décision d’essayer.

Clarisse Crémer, skippeuse Team Banque Populaire